Review in French

Anaïs Iris Zhang. La Belle Epoque (série de peintures à l’acrylique réalisées en 2020)

Vent d’Est, Vent d’Ouest.

Les influences croisées entre la peinture occidentale et la peinture orientale ont été fructueuses (que l’on songe à la vogue du japonisme au XIXè siècle ou à l’abstraction lyrique d’un Zao Wou Ki). Anaïs Zhang se situe dans cette lignée par un double héritage. Née à Zhuhai, elle a étudié à l’Université des Beaux -Arts de Guangzhou : Vent d’Est.

Son mariage avec un Français, ses nombreux voyages en Europe, la découverte de nouveaux paysages, la fréquentation des musées l’ont profondément marquée : Vent d’Ouest.

De fait, de série en série, elle semble réinventer l’impressionnisme et le fauvisme tant dans la forme que dans le fond par le choix des sujets. La série La Belle Epoque fait revivre les grands thèmes de la peinture impressionniste (paysages naturels, cathédrales, scènes de la vie moderne). Mais quelque chose de poignant se dégage de ces images d’un passé révolu. Qui sont ces groupes de personnages qui hantent les décors ? Quels fantômes le pinceau de l’artiste a-t-il réveillés ?

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Les secrets de famille

Pour comprendre l’originalité de l’entreprise d’Anaïs Zhang, il faut remonter à sa genèse et découvrir que les tableaux sont des sortes de palimpsestes : une œuvre en cache une autre. La Belle Epoque commence par la découverte dans le grenier de la maison familiale de plaques de verre de l’arrière-grand-père de son mari, Paul Verdun, médecin brillant qui s’était engoué pour l’art nouveau de la photographie. Il utilisait un Vérascope, appareil stéréoscopique dont la particularité est d’avoir deux chambres et deux objectifs dans le même boîtier. Il produit deux photographies « jumelles » (semblables mais non identiques) qui sont tirées sur de fines plaques de verre. Un autre appareil permet de visionner l’image en 3D.

Le monde d’avant

Photographe amateur mais passionné, Paul Verdun a pris des milliers de photographies qui saisissent l’atmosphère de la Belle Epoque. On appelle ainsi les vingt ans qui précèdent la Première guerre mondiale marquée par des millions de morts, l’horreur des tranchées, les gueules cassées, les paysages en ruines.

Certaines plaques en témoignent mais la plupart font revivre la poésie et la douceur du monde d’avant. La France connaît une période de prospérité économique, les découvertes techniques se multiplient, la République de Jules Ferry invente l’école gratuite et obligatoire.

On lit le Petit Journal ou le Petit Eclaireur, on fait ses achats au Petit Campeur, la bicyclette est couronnée la Petite Reine : harmonie du petit et du rassurant brisée par la Grande guerre.

Les plaques témoignent aussi de la vogue chez la bourgeoisie aisée du tourisme et des excursions.

 

Peinture ou Photographie ?

Paul Verdun a incontestablement un regard artiste sur le monde. Il a le souci de la composition. Ses photographies racontent des histoires et capturent des moments fugitifs et éphémères, parfois avec beaucoup d’humour.

On pourra sourire de ce groupe de bourgeois endimanchés, bons catholiques et gens bien -pensants, formant un cercle autour d’un menhir, symbole phallique d’une religion païenne disparue.

Anaïs Zhang a choisi de redonner une nouvelle vie à ces photographies à commencer par la couleur. Un exemple permettra de saisir la complexité du travail effectué par l’artiste. Posons donc en vision stéréoscopique la peinture et la photographie qui a servi de modèle.

Nous sommes dans une allée bordée d’arbres. La photographie fige un petit drame : les promeneurs se sont divisés, certains ont pris du retard et doivent rattraper les autres. Paul Verdun photographie les personnages de dos, ils deviennent des silhouettes sans visage. Anaïs Zhang emprunte à la photographie la composition impeccable. Elle aime les compositions structurées, c’est une constante de son œuvre : les paysages sont organisés par les lignes verticales et horizontales fournies par les chemins, arbres, bords de rivières, barrières…La couleur et la dissolution des formes donnent plus que la photographie en noir et blanc l’illusion du mouvement. La tension dramatique est accentuée. Mais un objet retient notre attention. Dans la photographie, le monsieur du premier plan dissimule la silhouette de sa femme dont on ne perçoit que l’ombrelle.

L’artiste n’en a pas reproduit le motif Burberry, pourtant magnifique. Elle en fait un cercle de couleurs en résonance avec le feuillage des arbres. Tout est dans le détail… L’ombrelle signe le passage du noir et blanc à la couleur. Ce cercle est comme l’objectif ou l’obturateur qui permet de capter la lumière. Un révélateur est un bain chimique qui permet de développer une photographie. Les plaques de Paul Verdun livrent le négatif d’images dont la peinture d’Anaïs Zhang est la révélation. Le cercle formé par l’ombrelle devient l’œil qui reflète le chatoiement du monde.

Iris, partie de l’œil
Iris, dans la mythologie, déesse à l’arc-en-ciel, messagère des dieux
Iris, autre prénom d’Anaïs qui jette un pont entre ces deux rivales, la peinture et la photographie, entre deux générations, entre deux patrimoines artistiques, l’Occident et l’Orient.

Jeanne Verdun, mai 2020